Sélection sanitaire

1. Sélection massale

La sélection massale sensu stricto n’est pas une sélection sanitaire : c’est l’acte de choisir et de multiplier une souche plutôt qu’une autre parmi une même variété. Il n’y a aucune indication relative au nombre de souches ou aux critères de la sélection (compétence du sélectionneur, qualité sanitaire etc…). Empirique, ce mode de sélection était le seul pratiqué jusqu’au début des années 70 : en partant d’une vieille parcelle NON GREFFÉE, le viticulteur prélevait les bois des souches qui lui semblaient les plus intéressantes et il les multipliait dans le but de les replanter, mais sans réaliser de tests sanitaires. Très risquée au plan sanitaire et trop imprécise au plan agronomique et œnologique (incertitude sur le comportement végétal, la production, la qualité des raisins,…), la sélection massale sensu stricto est fortement déconseillée.

Si de nombreux vignerons reparlent aujourd’hui de sélection massale, et même de « leur propre sélection massale », il s’agit le plus souvent de sélection massale faite au sein d’une population issue de clones (voir paragraphe sélection clonale ci-dessous), ce qui n’a évidemment rien à voir avec la sélection massale sensu stricto. Les parcelles CULTIVÉES, non greffées, ET NON ISSUES DE LA SÉLECTION CLONALE (c’est à dire plantées avant les années 1970) sont très rares aujourd’hui : avec une mortalité annuelle moyenne des ceps de 1 à 2 % due au vieillissement et au dépérissement des souches (maladies du bois, court-noué, enroulement, autres,…), il n’en existe quasiment plus aujourd’hui. C’est encore plus vrai pour les parcelles dites « centenaires » qui, si elles ont bien été plantées 100 ans plus tôt pour la première fois, ont subi des remplacements réguliers tout eau long de leur existence, et n’ont plus de centenaire que la date de la plantation d’origine.

Tous les virus (voir ci-dessous) sont des parasites obligatoires contre lesquels il n’existe pas de méthode de lutte directe. Comme aucune variété cultivée de vigne n’est résistante aux viroses connues, des plants initialement sains peuvent dégénérer au bout d’un certain nombre d’années (contamination possible à partir d’autres parcelles infectées). De ce fait, réaliser sa propre sélection massale même à partir de parcelle initialement saine issus de clones agrées n’est pas sans risque. La sélection sanitaire et le contrôle des vecteurs naturels des virus sont aujourd’hui les seules stratégies qui permettent de réduire la propagation des viroses.

C’est parce que la sélection massale sensu stricto ne permettait pas d’atteindre tous les objectifs agronomiques, œnologiques et surtout SANITAIRES que la sélection clonale a été mise en place.

2. Sélection clonale

La sélection clonale est l’obtention de plants sains non porteurs de viroses graves, donnant de façon régulière et homogène de bonnes performances culturales et œnologiques pour des vins de qualité.

« Un clone est la descendance végétative conforme à une souche choisie pour son identité indiscutable, ses caractères phénotypiques et son état sanitaire », définition de l’Office International de la Vigne et du Vin (OIV).

La sélection clonale est réalisée selon une procédure précise faisant appel à un savoir-faire et à des techniques qui ont été développés à l’ENTAV (Établissement National Technique pour l’Amélioration de la Viticulture) et ses partenaires (en particulier les Chambres d’Agriculture) depuis 1962.

Les principaux objectifs sont d’améliorer le potentiel du matériel végétal viticole tout en conservant l’ensemble des caractéristiques et l’identité de chaque variété ainsi que la diversité génétique de chaque variété. La mise en place d’un conservatoire de clones permet de RASSEMBLER en un même lieu et dans un parfait état sanitaire la biodiversité d’un cépage rencontrée dans les différents vignobles français et étrangers.

La sélection clonale est un processus long réalisée selon un schéma précis. Depuis les prospections menées dans des vieilles parcelles ou la présélection dans des conservatoires régionaux, jusqu’à l’agrément d’un clone et sa multiplication, il se passe en moyenne 15 à 20 ans. En effet, les programmes de sélection sanitaire et de sélection génétique nécessitent plusieurs années d’analyses et d’observations avant de pouvoir demander l’agrément à la section vigne du Comité Technique Permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS).

Les étapes de la sélection sont les suivantes : voir schéma général de la sélection
– prospection dans le vignoble (vieilles parcelles , conservatoires…)
– contrôle sanitaire
– création d’une collection de clones
– nouveaux contrôles sanitaires et analyse des performances (suivi agronomique, viticole et œnologique)
– agrément des clones par le CTPS
– pré-multiplication en familles agréées du vignoble de sélection
– multiplication par les producteurs de bois de vignes et pépiniéristes

Selon la réglementation européenne, le matériel sélectionné ne doit pas être porteur de viroses principales :

– le court-noué : il existe deux types de virus responsables de la maladie : le Grapevine Fanleaf Virus – GFLV et l’Arabis Mosaïc Virus – ArMV, tous deux transmis soit par le matériel végétal soit par les nématodes du sol : Xiphinema index pour le GFLV et Xiphinema diversicaudatum pour l’ArMV.

– l’enroulement : Grapevine LeafRoll associated Virus – GLRaV

Huit virus différents, de GLRaV1 à GLRaV8 (virus filamenteux de la famille des clostéroviridés) ont été décrits en association avec des symptômes d’enroulement. Seuls GLRaV 1, 2 et 3 sont susceptibles d’induire des symptômes décelables en France. GLRaV 1 et 3 sont des viroses réglementées exclues du processus de sélection. GLRaV 2 n’est pas une virose réglementée mais est pris en compte dans le schéma français de certification (interdiction de sélectionner de nouveaux clones GLRaV2+ et de distribuer du matériel initial pour les clones restant au catalogue mais autorisation des pépiniéristes à vendre le matériel certifié porteur (ex : Cabernet-Sauvignon 337 et 191, Sauvignon 316 et 317). GLRaV2 est responsable de symptômes beaucoup plus légers que les types 1 et 3, parfois mêmes difficilement décelables sur cépages blancs, à tel point que certains clones sélectionnés, parfois même considérés comme très qualitatifs, ont été largement multipliés sans que la présence de ce virus ne cause de problème technique. Par contre, GLRaV 2 est responsable d’incompatibilités au greffage, en particulier avec le porte-greffe Kober 5BB, et ses manifestations peuvent être plus graves dans d’autres conditions. C’est pourquoi il est exclu de la sélection, au même titre que les GLRaV 1 et 3.

La première cause de propagation et de dissémination de l’enroulement dans le monde est le matériel végétal contaminé. C’est pour cette raison que dès le début de la sélection clonale (début des années 1950), ces viroses systématiquement ont été éliminées du processus de sélection. Cependant, au sein d’une même parcelle, l’enroulement peut également se transmettre par l’intermédiaire d’insectes vecteurs : les cochenilles. En France, 4 espèces de cochenilles réparties en deux familles (à carapace et farineuse) ont été identifiées comme vectrice des virus GLRaV1 et GLRaV3, le vecteur du virus GLRaV2 étant à ce jour toujours inconnu. Il s’agit des espèces Parthenolecanium corni, Pulvinaria vitis, Heliococcus bohemicus et Phenacoccus aceris.

et la marbrure pour les portes-greffes (Grapevine Fleck Virus -GfkV)

L’absence de viroses secondaires est également vérifiée :
– le complexe du bois strié ou Cannelures (Rupestris Stem Pitting – RSP / Kober Stem Grooving – KSG / Grapevine Corky Bark – GCB),
la nécrose des nervures (Grapevine Vein Necrosis – GVN)
– la mosaïque des nervures (Grapevine Vein Mosaic – GVM).

La détection de ces viroses se fait par plusieurs méthodes :
– les tests biologiques ou « indexages » qui consistent à placer un greffon du clone à tester (dont un des bourgeons est conservé) sur une bouture d’une variété qui exprime facilement les symptômes spécifiques de la virose recherchée (variété indicatrice). L’indexage peut se réaliser par greffage ligneux (3 ans) ou herbacé (6 à 12 mois). L’indexage par greffage herbacé repose sur le même principe mais fait appel à la méthode de la greffe bouture herbacée qui permet une apparition des symptômes plus rapide en serre.
– le test ELISA (Enzyme Linked Immuno Sorbent Assay), technique sérologique basée sur la réaction anticorps (sérum) – antigène (virus).
– le test RT-PCR (Reverse Transcriptase – Polymerase Chain Reaction), technique génomique qui permet, à partir de l’ARN du virus et à l’aide d’amorces spécifiques, d’amplifier un fragment d’ADN obtenu par retrotranscription. Cette méthode fiable mais délicate et coûteuse n’est pas encore utilisée en routine en France pour les viroses de la vigne.

Seuls les résultats obtenus par l’indexage ligneux ou herbacé (techniques biologiques) sont retenus pour l’agrément des clones.

Si un viticulteur souhaite accroître la diversité du patrimoine génétique de son vignoble, plutôt que d’envisager « sa propre sélection massale », très risquée au plan sanitaire comme évoqué précédemment, il peut y parvenir en privilégiant ce que l’on appelle aujourd’hui la plantation de « polyclonales », c’est à dire en multipliant (diversifiant) le nombre de clones d’un même cépage sur une même parcelle.

Cette pratique se fait d’ailleurs couramment pour les porte-greffes : en fonction de la configuration d’une parcelle destinée à la plantation (pente, type de sols…), le fait d’installer plusieurs porte-greffes sur une même parcelle permet d’adapter au mieux le porte-greffe au sol et de diversifier les comportements viticoles et œnologiques : précocité au débourrement décalées face aux risques de gel, diminution des risques de coulure, aptitudes œnologiques diversifiées, etc…

[1] Un conservatoire de clones est une parcelle assurant le maintien dans un bon état sanitaire et physiologique de clones clairement identifiés ou non (dans ce cas, on parlera plutôt d’accessions) et choisis pour représenter une variété ou un groupe variétal dans sa diversité la plus grande.
Les individus ayant les meilleures potentialités agronomiques sont sélectionnés et reconduits en collection d’étude.

 

[2] Une collection d’étude est une parcelle expérimentale dont l’objectif est le suivi des clones issus de prospections ou de conservatoires en vue de leur éventuel agrément. Elle ne regroupe que des clones ayant satisfait aux tests sanitaires vis à vis du court-noué et de l’enroulement. Elle répond à un protocole d’installation très précis : nombre de souches, nombre de répétitions par souche, disposition dans la parcelle… Après 5 ans minimum de suivis viticoles et œnologiques avec mini-vinifications expérimentales et dégustation des vins, les souches (têtes de clones) les plus intéressantes sont proposées à l’agrément

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